Bonne année ? Et puis quoi, encore ?

Ne vous méprenez pas, ce n’est pas que nous ne vous aimons plus ; au contraire !

Mais simplement satisfaire au rituel des vœux nous semble bien dérisoire en ces temps moroses. Vous méritez mieux.

Mais que nous est-il permis d’espérer en cette nouvelle année ?

Que nous est-il permis de vous souhaiter, alors que partout l’horizon semble obstrué ?

Si il y a bien quelque chose qui a besoin d’être « réarmé », c’est notre capacité à espérer…

C’est à cette réflexion que nous invite Nicolas Truong, dans un très bel article publié dans Le Monde ¹.
Evidemment, il s’agit là d’une reformulation d’une des célèbres questions de Kant, qui, dans Critique de la raison pure (1781), formulait trois problématiques majeures de la philosophie : 
« Que puis-je savoir ? » 
« Que dois-je faire ? » 
« Que m’est-il permis d’espérer ? » 
Il nous enjoignait d’avoir le courage de se servir de son propre entendement, loin du dogmatisme, de l’obscurantisme et de l’arbitraire (sic…).

« Il ne s’agit pas d’espérer, mais d’agir. » suggère aujourd’hui le philosophe André Comte-Sponville, rejoignant ainsi certains collaspsolgues qui, face à un effondrement désormais envisageable, prônent de faire au jour le jour ce qui nous paraît primordial, peu importe notre vision du lendemain. 
« L’horizon est bouché ? Soyons réalistes ! » L’espoir est donc renvoyé dans le camp de l’utopie, « cette religion des athées » ajoute Comte-Sponville.

Pourtant, « les gens qui sont dans le “faire” continuent de penser que le monde est transformable puisqu’ils le transforment » fait remarquer la sociologue Geneviève Pruvost.
Donc ils ont de l’espoir…
Mais « l’inflation normative et le nudge algorithmique rognent insensiblement l’espace dont nous avons besoin pour créer, pour respirer, pour errer » et agir se résume trop souvent à « se plier en quatre pour rentrer dans des cases qui se transforment en prisons » pense Gaspard Koening.
Du coup, est-ce que l’espoir renaît quand nous agissons, ou plus nous agissons, plus nous perdons espoir ? 

Il nous faut probablement sortir de ces binarités qui nous font alterner entre enthousiasme et élans, presque immanquablement suivis d’accablement et de déceptions. Et nous font finalement douter de tout.

C’est précisément l’entreprise qui fut menée par le philosophe allemand Ernst Bloch (1885–1977) avec Le Principe espérance. Il inversa la proposition de l’utopie, en posant que ce n’est pas un recueil de désirs irréalistes mais une « conscience anticipante ». 
« La fonction essentielle de l’utopie est la critique de l’ordre existant ». On lui reproche son irréalisme ; mais qu’est-ce que le réalisme, sinon du conservatisme plus ou moins déguisé ? » commente Vincent Delecroix².

Se redessine ainsi une différence entre espoir et espérance. 
« L’espérance, c’est le désespoir surmonté » disait Georges Bernanos (1888–1948), donc à la fois une posture critique et constructive.
Bloch et Bernanos nous invitent à nous départir du simple espoir (très personnel) pour considérer toutes les pensées et actions qui transcendent la résignation, donc rouvrent l’espace des possibles, l’espérance.

Alors, que pouvons-nous vous souhaiter pour cette nouvelle année ? Plein d’utopies, pardi !
Car si elles n’ont pas vocation à forcément se réaliser, elles sont la condition de notre espérance.

Belles utopies 2024 !

L'équipe d'ARTES

1. En ces temps tragiques, que nous est-il permis d’espérer ? - Nicolas Truong - Le Monde du 05/01/2024 ↩︎
   

2. Auteur d’Apprendre à perdre (Rivages, 2019) ↩︎
   

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