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Public chéri, mon amour…

En empruntant au regretté Pierre Desproges sa célèbre introduction dans une émission de radio non moins célèbre1, c’est évidemment la notion centrale de la relation aux publics que nous souhaitons continuer d’éclairer.

En parallèle des préoccupations sur les enjeux de la billetterie, nombre d'entre-vous s’interrogent aussi sur comment faire évoluer les politiques de communication, de médiation, de fidélisation ou de diversification.

Pourquoi ces questions deviennent unanimement prégnantes ?
Le contexte économique des projets culturels y est sans doute pour quelque chose2, mais surtout la surabondance de l’offre, notamment de divertissements, rend le public plus volage et fait évoluer ses comportements.

 

« Je dois m’adapter à ce nouveau public […] qui aime rester chez lui pour regarder des vidéos et qui consomme de la danse fast-food à toute allure » reconnaît Bruce Ykanji (Juste debout - Hip-hop).

Le secteur culturel, souvent précurseur dans ses réflexions (il a pensé relation aux publics bien avant que les entreprises commerciales ne parlent de gestion de la relation client), peine à franchir le pas de l’intention et à s’outiller.

« Il faut bien dire qu’aujourd’hui nous sommes passés d’un rôle de garant de l’institution à celui de facilitateur pour la venue des gens » commente Stéphane Lissner (DG de l’Opéra de Paris).

« La plupart de ceux qui y travaillent n’y sont pas formés. Surtout, il n’existe pas dans les théâtres cette culture du produit, qui est celle des spectateurs devenus des consommateurs » note Bruno Caillet (Artishoc)3.

Évidemment, évoquer que le public puisse être un consommateur renvoi immédiatement à la légitimation entre la création qui serait savante et le divertissement qui serait populaire (donc que le public de la création ne serait pas consumériste…).

C’est ici qu’un certain nombre d’acteurs majeurs proposent de réinterroger les paradigmes du secteur culturel.
Est-il bien pertinent d’opposer savant et populaire ou politique de l’offre et de la demande ?

« Le mot populaire s’est effacé depuis les années 1970 au profit de celui de démocratisation » rappelle Patrick-Germain Thomas, sociologue4. « L'opposition entre les deux mots laisse aussi entendre que ce qui est populaire n’est pas savant et que le peuple est donc ignorant… »

L’héritage de Bourdieu entre culture « légitime » et culture de masse homogénéisante ne fonctionne plus, chaque individu est de plus en plus plurisocialisé.

Surtout, on peut très bien « faire œuvre de service public en usant notamment d'outils de l'entrepreneur, de manières de faire vertueuses empruntant aussi bien à l'économie solidaire qu’à la valorisation des marques » nous suggère Paul Rondin, directeur délégué d’Avignon, dans son très bel article « Pour une culture désirable »5.

C’est aussi notre philosophie chez ARTES.
Nos formations sont conçues, particulièrement depuis 5 ans, pour vous permettre de lutter à armes égales (ou tout au moins proches) avec l’ensemble des diffuseurs de contenus, sans altérer les valeurs du projet artistique et culturel que vous portez.

Car c’est bien sur le terrain de la valorisation de votre singularité que se joue la fréquentation de vos propositions.

Comment s’adapter au mode de consommation contemporain dans une société du flux ?

« Les canaux médiatiques se révèlent insuffisant à provoquer le désir, notamment celui d’une génération de plus en plus large qui demande rarement un programme, lit peu les journaux papier, ne regarde plus la télévision, n'écoute plus la radio, ou alors de manière numérique et par agrégats aléatoires, presque accidentels » rappelle Paul Rondin.

« La profusion des contenus fait que seule la prescription des pairs permet le choix. Et les nouvelles générations font moins confiance aux experts qu’à ceux qui partagent avec elles une même expérience » dit Olivier Donnat (coordinateur des enquêtes sur les pratiques culturelles au ministère de la Culture)6.

Il ne s’agit pas pour autant de succomber à la pression croissante pour les messages simples et les bons sentiments, donc de naviguer entre clientélisme et renoncement.

Des pistes (que nous développons dans nos formations à la communication digitale) parmi d’autres, notamment la meilleure connaissance de l’évolution des comportements au travers d’une démarche CRM adaptée.

« A l'intérieur de chaque classe sociale, l'hétérogénéité des pratiques s'accroît » rappelle Olivier Donnat.

Pour finir de vous convaincre sur le fait que toutes ces approches vous permettent de renforcer votre mission d’acteur culturel, permettez-nous de citer un exemple vécu.
Lors d’une formation à la mise en œuvre d’une démarche CRM (en décembre dernier) une grande Maison de la Culture s’interrogeait sur le bénéfice de maintenir des ateliers et des répétitions publiques de théâtre, constant que peu des participants allaient ensuite au spectacle.
Cette approche orientée offre (spectacle) masquait la réalité de la demande (participants). En effet « la moitié des personnes engagées dans le théâtre amateur ne va pas voir les spectacles des professionnels » (Olivier Donnat).

L'équipe sait maintenant que ces activités servent une tranche de public paticulière et peut orienter ses choix politiques de manière argumentée.
En modifiant une seule étape de son processus de relation client, elle peut récolter les éléments quantitatifs de ce bénéfice.

Pour paraphraser Paul Rondin (en espérant ne pas trahir sa pensée), adopter certaines logiques entrepreneuriales, c’est placer la création à l’équivalent de l’innovation et de l’investissement.
Un beau pari, non ?

 

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  1. « Le tribunal des flagrants délires » - France Inter - https://fr.wikipedia.org/wiki/LeTribunaldesflagrantsdélires ↩︎

  2. Baisse des soutiens publics, concurrence de projets éphémères, concentration, etc. Nous y reviendrons dans un prochain article. ↩︎

  3. https://www.lemonde.fr/scenes/article/2018/03/02/les-mutations-numeriques-du-spectacle-vivant_5264568_1654999.html ↩︎

  4. https://www.lemonde.fr/scenes/article/2016/09/17/la-danse-en-quete-de-popularite_4999195_1654999.html ↩︎

  5. Rondin Paul, « Pour une culture désirable. Sortir des poncifs des politiques culturelles », Revue du Crieur, 2018/3 (N° 11), p. 152-159. URL : https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2018-3-page-152.htm ↩︎

  6. Télérama 3597 du 19/12/2018 ↩︎