Accéder au contenu principal

C'est d'actualité…

Secteur culturel : la diffusion internationale, domaine tributaire des évolutions géopolitiques

Membre historique de l’équipe pédagogique d’ARTES, sa « maison de cœur », Cendryne Roé intervient sur les fondamentaux juridiques et fiscaux de la diffusion internationale depuis 1996 – elle avait alors 23 ans, et venait d’écrire son mémoire sur le sujet. Son expertise, qu’elle développe depuis les bancs de l’université de Perpignan, a accouché d’un ouvrage, actualisé à deux reprises, et dont la dernière version a été éditée par La Scène, en 2024.

Nous avons croisé Cendryne à la mi-mars, à l’occasion du festival BabelMusicXP, où elle représentait notamment son artiste Juan Carmona. L’occasion de revenir sur son parcours, et son domaine de formation, en perpétuel changement au gré des évolutions géopolitiques.

Interview par Elliott Bureau
le 18 avril 2025
(lu 153 fois)

Ton ouvrage, « La mobilité internationale du spectacle vivant », a été réédité en 2024 par La Scène. Cette version est déjà la troisième. Pourrais-tu nous expliquer la genèse de ce livre ?

« À la base, c'est mon mémoire ! J’ai passé un DESS de commerce international à l’Université de Perpignan. À cette occasion-là, il fallait que je fasse un stage, que j’ai réalisé dans une association qui travaillait avec des musiciens gitans qui tournaient dans le monde entier. À l’époque, mon responsable m'avait expliqué que personne ne comprenait rien aux règles l'internationales. Ils tournaient beaucoup en Australie, aux États-Unis, au Canada… mais ne savaient pas comment ça marchait. Faut-il des visas ? Des permis de travail ? Y a des charges sociales à payer ?

Il m’a demandé de faire un travail de recherche là-dessus. C’est comme ça que j’ai commencé à m’y intéresser. Quand j'ai fini mes études, je me suis mise à travailler, notamment au Médiator (la scène nationale de Perpignan) comme chargée des relations publiques. Le directeur de l'époque m'a suggéré de faire de mon mémoire des modules de formation. Il connaissait des gens à l'IRMA, et c’est comme ça qu’à 23 ans, je suis devenue formatrice, notamment à Issoudun où j’ai rencontré Cyrille Bureau qui était stagiaire (ndlr : et oui, il fallait bien se former avant de fonder ARTES !).

À cette époque-là, une copine m'a dit avoir besoin d’aide pour une tournée de musiciens cubains en France. Ils arrivaient directement de La Havane, c’était un parfait cas d’école pour moi. J’ai mis en application tout ce que j’avais écrit dans mon mémoire. C'est comme ça que j'ai commencé. Depuis, ça ne s'est jamais arrêté. J'ai enchaîné avec des artistes de toutes les musiques du monde. De l'Amérique latine, je suis passée au Moyen-Orient. J'ai travaillé avec des artistes du Maghreb, puis des iraniens, des israéliens… Après, je suis arrivée sur l'Espagne où j'ai créé Nomades Kultur, qui est ma boîte encore aujourd'hui. Elle est fondée autour d'un collectif d'artistes, notamment de Juan Carmona, qui fête cette année ses 40 ans de carrière avec un nouvel album. Et dont je suis la manager. »

 

« La diffusion internationale, c’est une vraie stratégie à mettre en place. C’est très coûteux, et on ne fait pas ça sur un coup de tête »

Et ton mémoire est donc devenu un ouvrage…

« Oui, j’ai commencé par monter mes modules de formation pour l'IRMA, qui m'a ensuite suggéré d’en faire un livre. J’étais reconnue comme experte. La première version est parue en 2009, elle s’appelait à l'époque « La circulation internationale du spectacle vivant ». L’IRMA en a été le premier éditeur. Il a été réédité une première fois en 2014, puisque la législation évoluait beaucoup. Puis, l'année dernière, j'ai entièrement réécrit le livre. J'ai changé d'éditeur avec La Scène, la maison de Nicolas Marc. On a présenté aux BIS (Biennales Internationales du Spectacle), à Nantes, en 2024, ce que l’on peut appeler la dernière version du logiciel qui s'appelle désormais « La mobilité internationale du spectacle vivant ». »

Le fait que tu deviennes une experte reconnue dès ta sortie d’études témoigne-t-il d’une méconnaissance de ces sujets ?

« Il faut croire qu'à l'époque, personne n'était intéressé par ces problématiques-là. Je peux le comprendre, vu la complexité et le flou artistique qui règne dès qu'on aborde les questions internationales. Vingt-cinq ans après, nous sommes encore très peu en France à vraiment maîtriser ces domaines qui, en plus, sont en constante évolution.  Il y a eu des problématiques qu'on connaît : le Covid, qui a fait fermer les frontières et qui a changé la politique internationale ; l'Ukraine… Tous les changements géopolitiques font évoluer les choses. La réglementation évolue aussi bien sur le point de vue fiscal que social ou juridique. C'était donc vraiment nécessaire de refaire une grosse mise à jour sur le livre.

J’ai eu à réécrire entièrement certaines parties, j'ai également rajouté un chapitre dédié à l'éco-responsabilité. Comment être un artiste international ? Peut-on prendre des avions tout le temps, parce que c'est souvent le seul moyen de se déplacer... La diffusion internationale, c’est une vraie stratégie à mettre en place. C’est très coûteux, et on ne fait pas ça sur un coup de tête. Avec tous ces paramètres, comment fait-on pour mettre en place une vraie tournée, avec plein de partenariats autour ? Qu'est-ce qu'on fait du disque aussi, sachant qu’il est moribond en ce moment.

Dans le livre, il y a aussi une partie sur la circulation des marchandises, du matériel des artistes. Comment ça se passe si on franchit des barrières douanières ? Ça ne s’adresse pas qu'à des musiciens, mais à tout le spectre du spectacle vivant, aussi bien les compagnies de danse, de théâtre, les groupes ou ensembles de musique, mais aussi le cirque, qui ont de plus beaucoup de matériel. »


« Depuis 25 ans, je dois m'adapter en permanence. Et pour moi, c’est d'ailleurs tout l'intérêt ! »

Tu as réactualisé ce livre à deux reprises. On imagine que c’est aussi le cas pour tes formations ?

« Je crois que j'ai un peu dit tout et son contraire ! Les législations ont tellement évolué que ce qu'on disait à l'époque ne s’applique plus, et inversement. Forcément, depuis 25 ans, je dois m'adapter en permanence. Et pour moi, c’est d'ailleurs tout l'intérêt ! Il faut mettre en place une veille permanente sur ces sujets-là. Le contexte géopolitique est passionnant, d’autant plus qu’il nous impacte directement. Donc, comment composer avec à notre niveau ?

Après, en formation, la trame reste la même. J’ai eu environ 2.000 participant.e.s en une vingtaine d'années. Et les questions sont toujours les mêmes ! « Je suis embêté, j'ai un artiste qui doit venir en France, mais il n'a pas son visa...» « Lui, ne veut pas que je lui paie des charges sociales, dans son pays, ça n'existe pas, donc il ne veut pas qu'on lui retienne sur son salaire… » « Quelle TVA faut-il que je reverse quand je pars jouer à l’étranger ? Comment je peux la récupérer ? » « Est-ce qu'il me faut un permis de travail quand je vais aux Etats-Unis ? » C'est sans arrêt les mêmes questions. »

Et donc, toi, tu es capable de répondre à tout cela ?

« Je n’ai pas réponse à tout, mais j'applique une certaine logique car je comprends la réglementation. Je suis aussi consultante pour plusieurs structures, et en général, j’arrive à les dépatouiller de leurs problématiques. On va dire que c’est un peu mon rôle (rires). »


Quels sont les profils auxquels tu t’adresses en formation ?

« J'ai de tout, beaucoup de professionnels. Ce sont souvent des administrateurs de structures, de festivals, de scènes nationales, mais aussi de compagnies de théâtre ou de danse. Je peux aussi avoir des chargés de diffusion qui viennent pour savoir comment mettre une stratégie pour développer leurs compagnies à l'international. C’est tout public, même si j’ai rarement de jeunes étudiants. Ce sont quand même des personnes plutôt de terrain, expérimentées. »


À discuter avec toi, on comprend que ton secteur est en perpétuel changement. Dans 5 ans, par exemple, tu estimes que ça sera encore différent ?

« C’est simple, la dernière version du livre datait de 2014. Dix ans après, j'ai fait la réédition… On va voir ce qu’il se passe, mais le contexte géopolitique est quand même assez inquiétant Est-ce que l'Europe, dans 3 ans, sera encore la même qu’aujourd’hui ? Que va-t-il se passer en Ukraine ? Et aux Etats-Unis ? Quelles seront nos relations diplomatiques ? Les conventions internationales vont-elles changer ? Sur tout ça, évidemment, je n’ai pas la réponse. Peut-être que ça nécessitera un réajustement. Certainement, même. J’espère juste que ce sera dans le bon sens du terme. »

--
À consulter : notre formation sur les fondamentaux juridiques et fiscaux de la diffusion internationale