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Anticipation, ciblage, diversification : les trois leviers de la production de spectacle
Dans un contexte de plus en plus tendu, notamment en raison de la baisse des subventions, trouver les fonds nécessaires à la production d’un spectacle nécessite une méthodologie bien rodée. C’est ce que propose Laurence Clauzel sur son module « monter et financer une production de spectacle ». Elle nous explique plus en détail le contenu de sa formation, « une alternance d’apports théoriques et de pratique » pour mettre en place une méthode de travail opérationnelle, pertinente et efficace.
Peux-tu nous rappeler ton parcours et ce qui t’as amenée vers la formation professionnelle ?
« J’ai toujours eu un intérêt très fort pour le domaine artistique, j’ai pratiqué la musique et le théâtre dès l’adolescence. Je pensais donc me diriger professionnellement vers ce secteur, mais j'ai finalement opté pour des études commerciales, une voie plus sécurisante pour mon environnement familial. J'aimais déjà beaucoup prendre la parole en public, c’est d’ailleurs pour cela que je suis devenue formatrice par la suite. J'ai donc évolué pendant une dizaine d'années en tant qu’ingénieure commerciale dans une société d’informatique qui vendait des solutions de finances et de gestion de ressources humaines à de grandes entreprises. J’avais une vie confortable, mais j’ai décidé de la laisser tomber à la trentaine pour me rapprocher du domaine artistique qui faisait battre mon cœur depuis toujours. J’ai d’abord travaillé pour la compagnie de théâtre dans laquelle je jouais. J’ai débuté par la vente de spectacles pour les tout-petits, puis pour tous les publics… C’était une manière d’adapter mes compétences au secteur culturel. Je me suis évidemment formée pour connaître toutes les spécificités du domaine du spectacle, qui était très éloigné de ce que j’ai connu avant. J’étais d’abord chargée de diffusion, puis chargée de production. Et puis j'ai eu la chance d'intégrer une compagnie conventionnée, le Théâtre de la Jacquerie, dirigé par Alain Mollot. J’y ai petit à petit évolué en devenant administratrice, puis directrice adjointe. J’ai accompagné cet artiste pendant 13 ans. J’y ai suivi beaucoup de formations, puis un jour, une intervenante m’a fait passer au tableau pour un exercice, et m’a suggéré d’intervenir à mon tour. C’est comme ça que je m’y suis mise, et j'ai adoré partager mon expérience. »
Quel genre de formation animais-tu ?
« J'ai commencé par la diffusion, puis la production est venue naturellement. Ensuite, je suis intervenue sur la prise de parole en public ou l'animation de réunion. J’ai aussi pris des fonctions au groupe des 20 théâtres en Île-de-France, qui est un réseau de lieux de diffusion. Ils cherchaient une déléguée générale, et j’avais envie de connaître l'autre côté du décor. C'était un poste très polyvalent, je devais développer les activités du réseau, dont la mission est principalement d'aider des artistes à monter leur production. Ce groupe organise notamment des journées professionnelles où une centaine de programmateurs et 10 à 20 artistes se réunissent. C’est l’occasion pour eux de présenter leurs projets à venir, de fournir des repérages pour les programmateurs et de potentiellement générer du préachat ou de la recherche de production. Animer ce réseau m’a permis de cotoyer de très près les directrices et directeurs de théâtre et de vraiment comprendre leur réalité... C’était passionnant. J’ai occupé cette fonction de 2009 à 2022, et je suis désormais 100% indépendante comme formatrice, coach certifiée et consultante. Et, depuis toujours, j’ai continué ma pratique artistique. Je suis comédienne et chanteuse, ce qui me donne un regard un peu particulier : je connais le plateau, mais j’ai aussi des compétences de communication et de gestion. »
Tu animes pour ARTES le module « Monter et financer une production de spectacle » … Quelle est, selon toi, la spécificité de cette formation ?
« C’est une formation qui donne une méthodologie très claire puisqu’elle résume l’équivalent de trois années de travail en trois jours. On explore toutes les étapes au travers d’un cas pratique : de l'idée du projet jusqu'à sa réalisation finale, en passant par sa définition artistique et son positionnement dans l'environnement du spectacle vivant, la recherche de coproducteur est préacheteur, puis la recherche de subventions et de financement privé. Cette formation aborde également tous les aspects financiers, avec l’élaboration d’un budget que l’on va faire évoluer au fil de la formation. On explore la recherche de partenaires, j’en donne d’ailleurs un panorama complet : qu'ils soient des lieux de diffusion, des financeurs publics ou privés. Et elle donne une méthodologie pour la recherche de ses financeurs : savoir comment les aborder ? Quelles sont leurs spécificités ? Quelles sont leurs logiques d'intervention ? Cette formation aborde de nombreuses notions et permet une réelle appréhension de la méthodologie de travail. Elle confronte véritablement les participants aux pratiques budgétaires, puisque l’on s'exerce sur des tableurs…. Il y a une vraie alternance de pratique et de théorie. »
Ce sont des aspects encore plus importants à maîtriser aujourd’hui, au vu du contexte tendu que le secteur culturel traverse….
« Oui tout à fait. Il y a 20 ans, il était possible de monter une production de théâtre avec des partenaires qui se comptaient sur les doigts d'une main. Aujourd'hui, il en faut bien plus, et mathématiquement, les temps de recherche s’allongent. Il faut en moyenne deux à trois ans pour monter une production avec de vrais moyens. Je dirais qu'il y a trois mots-clés à retenir : l'anticipation, c’est-à-dire démarrer suffisamment longtemps avant pour avoir le temps de trouver assez de partenaires ; le ciblage pertinent, ne pas s'épuiser sur des prospects hors cible.... Mais aussi et surtout la diversification. En 2025, bientôt 2026, on ne peut plus se contenter d'un coproducteur. Il en faut plusieurs, et il faut aussi des pré-acheteurs, des subventionneurs. Il faut se mobiliser sur des appels à projet, intégrer des fonds privés... C'est vraiment en diversifiant ses sources de financement qu'on a le plus de chances de parvenir à monter son budget. »
C'est quelque chose qui est encore négligé selon toi ?
« Je ne dirais pas que c’est négligé mais cela va être de plus en plus pris en compte en raison de la baisse drastique des subventions. Il est vrai que le montage de production n'incluait pas forcément ce problème de diversification jusqu’ici. Vu le contexte, il devient essentiel de prendre en compte toutes les sources de financement possibles. Il faut aussi développer l'autoproduction, c'est-à-dire penser ses prix de vente de manière à pouvoir réinjecter des fonds dans ses propres productions. »
Tu disais que cette formation a été construite sur une alternance de théorie et de pratique. As-tu des exemples à nous livrer sur le contenu des exercices proposés ?
« Oui, tout à fait. Par exemple, quand on étudie la définition du projet artistique et son positionnement, je propose aux apprenants une méthode de questionnement très connue que l’on appelle le QQOQCCP. Elle est particulièrement intéressante parce qu’on peut adapter à de nombreux projets. Quand on regarde le paysage des lieux de diffusion, je leur propose d'aller étudier les programmations sur les sites internet des lieux, tout en donnant une grille d'analyse. Cela leur permet de vraiment définir l'identité du lieu de manière à mieux cibler leurs propositions. Quand on travaille sur la traduction financière du projet, ils vont réaliser un premier budget de production sur un tableau Excel à partir de données d'hypothèses chiffrées qu'ils vont ensuite faire évoluer en fonction des ressources trouvées ou non. Évidemment, ils n’auront pas le budget dont ils rêvaient. Ils vont donc devoir faire des choix, baisser telle ou telle charge pour arriver à l’équilibre... »
À entendre ces exemples, on sent que la production de spectacle nécessite une grande pluralité de compétences. Qu'est-ce qui est complexe, selon toi, dans ce métier ?
« Je dirais qu’il ne faut pas lâcher et garder sa motivation intacte face aux refus qui sont inhérents à ce travail. Il faut aussi savoir accompagner le projet artistique : être au plus près du désir de l'artiste, tout en ayant en tête la réalité du contexte. La complexité, c’est que les programmateurs ont besoin d'entendre la parole de l'artiste, surtout quand on est en phase de création du spectacle. Il faut qu’il s’implique dans la recherche, qu’il forme un vrai binôme avec le chargé de production. C’est un message que j’essaie de faire passer au cours de cette formation. La difficulté de ce métier réside aussi dans le fait qu’il soit nécessaire de posséder des connaissances à la fois de gestion et de communication. »
En début d’entretien, tu disais avoir suivi beaucoup de formations. Est-ce que cela t’aide, aujourd’hui, à prendre ta posture vis-à-vis des participants ?
« C’est vrai qu’il est important de comprendre ce qui se joue dans une formation, entre les participants mais aussi avec le formateur. Je me suis formée à la pédagogie pour bénéficier des bons outils, mais je pense surtout me renouveler avec l'expérience de me confronter en permanence à des groupes différents et à des sujets variés. Je ne fais jamais une formation sans chercher à l’améliorer et la réactualiser. Disons qu’il y a des domaines vivants, et d’autres qui le sont un peu moins, comme la comptabilité, par exemple, qui n’a pas de multiples raisons de changer. Dans le domaine de la production et de la diffusion, sur lesquels j’interviens pour ARTES, c’est différent. Ce sont des métiers en perpétuelle évolution, je suis donc obligée d’être au plus près de l’actualité du terrain pour comprendre les enjeux et répondre aux attentes des participants. »
Cette formation a donc sans doute beaucoup changé par rapport à ta première intervention…
« En effet, elle n’a même plus rien à voir ! Ma première intervention sur ce sujet doit dater d’une quinzaine d’années. L’esprit était le même qu’aujourd’hui, mais je l’ai énormément faite évoluer, je l'ai beaucoup complétée. À l'époque, je ne travaillais pas encore avec les lieux. Cette expérience m'a vraiment donné un autre regard, complémentaire. Aujourd’hui, j’appuie bien sur le fait que la démarche réseau est essentielle. Les journées professionnelles, qui étaient encore balbutiantes il y a 20 ans, sont beaucoup plus nombreuses et primordiales. C'est un phénomène que l’on ne peut pas ignorer quand on monte une production de spectacle. Mais ça, il y a 15 ans, je n’en parlais pas ! Comme les réseaux sociaux, qui en étaient encore au début… La communication n'a plus rien à voir avec ce que l’on connaît aujourd’hui. À l'époque, on pouvait encore prendre son téléphone, appeler les gens et être facilement dans un échange. Aujourd'hui, c’est beaucoup plus compliqué... »
Car les gens manquent de temps...
« Oui, ils sont beaucoup plus sollicités, et on ne les touche pas de la même manière. D'où l'importance d'avoir une méthodologie de travail, de comprendre comment créer du lien dans sa recherche de partenaire, et surtout de l’entretenir à long terme. Aujourd’hui, c’est vraiment un point fondamental. »